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Visite de la ministre Martinez Ferrada au C2T3 affilié au Cégep de Trois-RivièresFormation collégiale en situation minoritaire : collaborer pour survivre
Marine Ernoult
«Les collèges peuvent exercer un leadeurship important en faveur de la francophonie canadienne. Ils sont plus près des communautés que le réseau universitaire et davantage ancrés dans les réalités locales», affirme Marc L. Johnson, directeur de l’étude L’avenir et le développement du collégial en français au Canada, commandée par le Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada (RCCFC) et réalisée par la firme Socius.
Une présentation du rapport a eu lieu début novembre, à l’occasion du congrès annuel du RCCFC.
Si les collèges attirent de plus en plus d’étudiants depuis le début des années 1990, ceux situés en milieu francophone minoritaire ont encore du mal à trouver leur place et à se développer. «Leur survie est très difficile et incertaine dans les petites communautés», peut-on lire dans le rapport préliminaire.
L’étude est toujours en cours puisque les auteurs effectueront quelques entrevues supplémentaires avec des gestionnaires de collèges.
Les fonds fédéraux et provinciaux, réduits à la portion congrue, voire gelés depuis des années, ne permettent pas aux établissements postsecondaires de jouer pleinement leur rôle et de demeurer compétitifs. Certaines structures sont carrément privées de financement public en raison du désengagement pur et simple des provinces ou territoires.

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Forte concurrence des collèges anglophones
Les 33 gestionnaires questionnés dans le cadre de l’enquête réclament des fonds pluriannuels plus stables, qui tiennent compte de leurs besoins considérables et des couts élevés dus à la petite taille des cohortes. «La mutualisation des ressources et le codéveloppement des curriculums sont aussi des leviers à considérer. Les collèges doivent s’entraider», plaide Jason Luckerhoff, chercheur principal associé à l’étude.
En attendant, les directions tentent de diversifier leurs sources de revenus en misant sur les frais d’inscription des étudiants internationaux, la création de fondations, la formation continue ou encore la participation des employeurs.
Les établissements francophones souffrent également d’une forte concurrence de la part de leurs équivalents anglophones. «En milieu minoritaire, le collégial perd beaucoup d’élèves à cause d’une visibilité insuffisante et d’une offre de cours limitée», regrette Mona Audet, directrice générale de Pluri-Elles, organisme franco-manitobain d’éducation et de formation professionnelle.
Les collèges ont pourtant un rôle à jouer alors que la pénurie de main-d’œuvre n’a jamais été aussi criante, notamment dans la francophonie minoritaire.
«On doit impliquer les employeurs dans la mise à niveau et la mise en œuvre de nos formations afin qu’elles soient les plus pertinentes possibles», poursuit Diane Sénécal, vice-présidente à la formation et à la réussite étudiante au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick (CCNB).

«On a un vrai défi d’attractivité linguistique»
Concevoir des formations adaptées au contexte local n’est pas toujours évident. Les équipes pédagogiques sont en effet confrontées à un manque de matériel en français qui ne soit pas centré sur le Québec.
L’étude invite à la création d’un réseau national d’enseignants collégiaux afin qu’ils puissent se soutenir et mettre en commun leur expérience. «On pourrait imaginer un programme de mentorat pédagogique interprovincial à destination des professeurs», détaille Jason Luckerhoff.
Un autre obstacle à surmonter, selon les gestionnaires interrogés, c’est le fait que peu d’élèves issus de la francophonie minoritaire poursuivent au postsecondaire en français, qu’ils viennent d’écoles francophones ou de classes d’immersion. «Souvent aux prises avec l’insécurité linguistique, ils n’osent pas s’inscrire. On a un vrai défi d’attractivité linguistique», réagit Mona Audet.

Mais les données manquent. Selon Jean Léger, directeur général du RCCFC, une seule étude sur le sujet, réalisée en Ontario il y a deux ans, aurait démontré que la majorité des jeunes francophones se tourne vers un cursus postsecondaire en anglais. Pour pallier ce déficit de données à l’échelle du pays, le réseau mène actuellement une étude plus vaste, en partenariat avec l’université d’Ottawa. Les résultats sont à paraitre l’an prochain.
De plus en plus de collèges sont obligés de se tourner vers une clientèle internationale. Selon l’ébauche de rapport de la firme Socius, «les étudiants internationaux constituent 27 % des inscriptions dans les collèges du Canada alors qu’ils représentent 3 % au Québec».
Aux yeux des professionnels, l’avenir passe aussi par plus d’échanges entre les collèges à travers le Canada. Les auteurs de la recherche proposent ainsi la création d’un programme de mobilité étudiante et enseignante francophone pancanadienne, sous la responsabilité du RCCFC.
«Un tel dispositif permettrait aux étudiants collégiaux, qui se déplacent encore trop peu, de prendre conscience de la diversité des cultures francophones canadiennes», analyse Jason Luckerhoff.

Créer des échanges avec le Québec
Denis Deschamps, directeur général du Cégep de Victoriaville au Québec, appelle néanmoins à rester vigilant :
Un avis que partage Francis Kasongo, directeur général du Collège Mathieu à Saskatoon : «Il faut absolument promouvoir la mobilité dans les deux directions ; vers le Québec, mais aussi vers le reste de la francophonie canadienne.»
«Il faudrait plutôt réfléchir à comment amener à nos jeunes certaines formations données au Québec», renchérit Diane Sénécal du CCNB.
La crainte que les élèves québécois ne souhaitent pas poursuivre leur scolarité postsecondaire à l’extérieur de la Belle Province est grande parmi les responsables collégiaux. «On doit les convaincre de la pertinence de vivre une expérience au Canada et non pas à l’international», insiste Francis Kasongo.

L’enjeu est d’autant plus sensible à l’heure où l’article 29.6 du projet de loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec, le français, permet aux francophones du Canada de payer les droits de scolarité des résidents québécois pour des programmes collégiaux qui ne sont pas disponibles en français dans leur province ou territoire.
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Recherche et clientèle adulte
L’étude propose également de valoriser le rôle des collèges en tant qu’établissements d’enseignement postsecondaires, avec comme objectif de multiplier les ententes avec le milieu universitaire.
En Colombie-Britannique et en Alberta, certains collèges permettent d’ores et déjà à leurs élèves de terminer leur diplôme à l’université. «Grâce à ce type de collaborations, sources d’économies d’échelle, une éducation en français est offerte dans des régions où elle est normalement difficile d’accès», assure Marc L. Johnson.
Les collèges veulent par ailleurs renforcer leur capacité de recherche, en plus de leur mission d’enseignement. Mais les barrières demeurent nombreuses : les professeurs ont peu de temps à y consacrer, n’ont souvent pas de diplôme qui leur permet de recevoir un financement et n’ont pas d’étudiants qualifiés à même de les assister dans leur travail.
Plusieurs pistes de solutions sont évoquées, à commencer par la multiplication des fonds de recherche dédiés au collégial, ou la création d’une banque d’experts et de projets qui connecterait les chercheurs collégiaux.
Dans l’Ouest, Mona Audette et Francis Kasongo mettent néanmoins en garde face à la tentation d’oublier la clientèle adulte en quête de requalification, notamment les apprenants faiblement alphabétisés. «C’est un marché d’avenir! Si on les met à niveau et on les forme à des métiers en demande, ils contribueront à nos communautés», note Francis Kasongo.
La Plateforme canadienne de formation à distance (PCFAD), créée récemment par cinq établissements et organismes, dont Pluri-Elles et le Collège Mathieu, vise justement à améliorer les compétences essentielles en littératie, numératie et informatique dans les communautés francophones en situation minoritaire.
Source : https://bit.ly/3cxazGE